La sortie du nouveau-né face à la modernité au Togo/Le Maître T’appelle n°003 – Octobre – Décembre 2011


Par Gaëtan Noussouglo et Edem Gadegbeku


La sortie du nouveau-né est une pratique courante dans les familles
togolaises d’aujourd’hui. Le contour et le déroulement de l’événement,
a priori traditionnels, sont de plus en plus modernisés. Chaque
couple togolais donne une particularité à la cérémonie en y ajoutant
parfois une touche religieuse. Ce qui n’influence en rien la signification
première de l’acte, celui de confier le nouveau-né à ses aïeux
dans la tradition de ses ancêtres.
Chez les Ewé et les Mina du Togo, cette
cérémonie symbolise la purification, la
présentation officielle et l’intégration du «
nouvel Homme » aux membres de la communauté
dans laquelle il a vu le jour. C’est
un acte à la fois social et spirituel : un «
baptême traditionnel » par lequel l’enfant
est présenté aux dieux tutélaires, à son lignage
et la communauté toute entière et à
partir de ce moment-là, il est nommé ou
porte un nom pour la première fois.
L e r i t u e l et la nomi n a t i o n d u n o u v e a u - n é
Très tôt (5h), le matin du 8e jour de la naissance de l’enfant chez les Mina
et les Ewé, la famille se présente au domicile du couple ayant annoncé la
naissance de leur enfant. Il est formellement interdit de parler à quiconque
ce matin-là avant le début de la cérémonie car toute parole doit être insufflée
par les ancêtres ou les dieux ayant envoyé l’enfant dans le monde des
vivants. La nuit du 7e au 8e jour, on remplit une calebasse d’eau qu’on expose

pour son « renouvellement » à la rosée matinale sur la cour de la maison.
Dès l’arrivée de la famille et de « l’ancien » , on procède à une libation
devant le portail avec de l’eau mélangée à la farine de maïs (djassi) et une
boisson sucrée - d’habitude une bouteille de limonade - pour apaiser l’esprit
des ancêtres et invoquer la bienveillance divine. On invoque les dieux
des quatre points cardinaux. Ayant eu leur accord, on procède aux « relevailles
» ou rite de sortie. Le responsable de la cérémonie passe la main à
un membre de la famille né le même jour de la semaine que l’enfant. Ainsi
désigné, cette personne fait des aller-retour de la chambre à l’extérieur
avec l’enfant dans ses bras.
Au bout de la sixième entrée, il attend un signal qui n’est autre que la lancée
de l’eau préparée sur le toit. Enfin, il sort la septième fois, le bébé en
avant exposé à la chute de l’eau sur son corps nu. Le nouveau né crie
comme au premier jour de sa naissance.
L’enfant purifié se réveille ainsi à la lumière
du jour, aux forces et aux lois de la nature.
A partir de ce moment-là, il ne porte
plus les souillures de ses parents ou de son
ancêtre. Plusieurs bénédictions pleuvent sur
lui. Cette eau dissipe les puissances de l’ennemi
comme l’eau dans les rites d’exorcisme
et de baptême de l’Eglise catholique.
Le nom donné, certaines fois, est lié à plusieurs
éléments : éphéméride, conditions de
sa naissance, philosophie des parents ou
carrément ce nom permet de savoir qui il
est quel ancêtre l’envoie ou de quel ancêtre est-il la réincarnation. Une
fois l’enfant identifié, il est nommé et peut tranquillement en tant que «
vieil homme » intégrer la famille. Cependant l’erreur d’ancêtre et de nom
de l’enfant peut créer de graves disfonctionnements dans la vie de l’enfant.
Il est souvent gravement malade obligeant les parents génétiques à
aller chercher le véritable ancêtre « Djoto » de l’enfant. Lors de cette
cérémonie, les traits de l’enfant sont observés avec minutie pour établir
les ressemblances.

L a c o m m u n i o n a v e c l e n o u v e a u - n é
Dans certaines communautés, il n’y a pas de place à la libation mais juste
pour les cérémonies purificatrices de l’enfant. Plusieurs éléments selon
les communautés participent à ce rituel : le « fa » pour connaître le sort et
l’ancêtre réincarné de l’enfant, l’utilisation de l’hysope (Kpatima) pour
enlever toute souillure ou « Evi, Ahohé ou Awo » ayant servi à la cérémonie
est distribué aux participants pour les mettre en communion avec le
nouveau-né. A la fin de la cérémonie, d’autres membres de la famille arrivent
sur les lieux vers 7 ou 8h pour la grande fête au cours de laquelle le
n o m d e l ’ e n f a n t e s t c o m m u n i q u é .
Cette cérémonie n’intervient pas suivant les
mêmes rites chez les Ewé, les Guin, les Anago,
les Kotokoli ou encore les Moba par exemple.
Quand bien même il existe des exceptions, le
matériel de base utilisé semble faire l’unanimité
: il s’agit de l’eau et d’un récipient que constitue
la calebasse. La détermination du jour ou
de la période d’exécution d’un tel usage culturel
après l’accouchement obéit aussi à la même logique
prédéfinie. Si la plupart tablent sur le huitième
(8ème) jour de la venue de l’enfant au
monde d’autres jouent sur des considérations astrologiques ou cosmogoniques
en prenant en compte la levée de la lune.
La concurrence des religions venues d’ailleurs et modernisation du rite
La cérémonie de sortie du nouveau-né se modernise, mieux, s’occidentalise
sous le sceau des religions venues d’ « ailleurs ». Ceci est essentiellement
le lot des chrétiens. En effet, si beaucoup ne contestent pas fondamentalement
la légitimité de cette cérémonie, se fondant sur le parallèle
fait avec la cérémonie « de présentation de Jésus-Christ au Seigneur dans
le temple de Jérusalem » (Evangile Selon Saint Luc Chapitre 1 du verset
21 à 40), nombre d’entre eux n’ont que faire « dorénavant » des foudres
promis - différentes malédictions et leurs corollaires - à ceux qui ne se
plient pas à ce cérémonial. Ainsi, à défaut d’amputations cérémonielles
substantielles, chants et accessoires traditionnels - comme la calebasse,

certaines plantes ou herbes particulières, morceau de charbon de bois,... -
n’ont plus droit de cité. Ils ont fait place à des cantiques et chants relig
i e u x , à l a l e c t u r e d ’ e x t r a i t s b i b l i q u e s .
Du coup, la cérémonie de sortie du nouveau-né se réduit au strict minimum
ou est exécutée sous un jour chrétien, si elle n’est pas carrément
supprimée. C’est le cas par exemple chez les « pentecôtistes » ou encore
c h e z l e s c h r é t i e n s G u i n .
Cette pratique qu’on taxe souvent de « traditionnelle » semble, néanmoins
mieux s’accommoder à d’autres religions comme l’islam parce qu’elle
apparaît ici comme une émanation et une obligation coranique, avec principalement
comme ingrédients cérémoniels, la noix de cola et un mouton
ou une chèvre. En tant que rite, elle prend généralement les allures de celle
faite chez les chrétiens. Cette remarque est également valable chez les «
bouddhistes » , à la seule différence qu’elle est presque « facultative » et
s’apparente à une consécration du bébé à Bouddha.
Cérémonie « coexistencielle » à l’islam et au bouddhisme, la sortie du
nouveau-né semble perdre de son essence traditionnelle chez les chrétiens
togolais. Elle ne demeure pas moins une obligation chez les Péda
(démembrement du groupe ethnique Guin). « Lorsqu’un enfant naît le
cercle de la famille applaudit à grands cris » quel que soit son ancrage
dans la réalité sociale du milieu où on vit.



17/09/2011
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